Il y a quelque chose qui me chagrine aujourd’hui. Cela me chagrinait déjà en 2016, ça continuera de me chagriner en 2017. Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à respecter mes horaires de travail contractuels? Pourquoi est-ce que je ne pars pas du boulot à 17h?
Plusieurs raisons me viennent en tête, sans ordre d’importance.
Parce que la charge de travail est trop importante pour être réalisée en une journée de 7h.
Parce que le travail est mal organisé et mal anticipé.
Parce qu’il y a ça à faire “urgemment, c’est pour ma réunion de demain”. (Pas la mienne évidemment).
Parce que j’ai toujours un peu peur qu’on me demande des comptes si je pars “à l’heure”. Au moins les jours où j’ai sport et que je pars à 17h30, je sais quoi dire. Pour les autres jours, je ne sais pas trop. “J’ai une vie en dehors de ce bureau” pourrait faire l’affaire, mais ce n’est pas si facile. D’ailleurs les autres, ils n’en ont pas de vie? Les patrons, même une fois rentrés chez eux, ils continuent de travailler, alors j’imagine qu’ils ne peuvent pas comprendre. Ils ne peuvent plus.
Parce que parfois j’en ai marre de travailler, alors je fais une pause en allant traîner sur le Web (il fait froid dehors en cette saison), mais ce n’est ni qualitatif ni reposant, et ça me met seulement encore un peu plus en retard.
Parce que mes collègues ne sont pas regardant sur leurs horaires, eux. Ou en tout cas, ils ne le montrent pas. J’essaie néanmoins de faire ce que je peux pour que ma collègue en alternance ne prenne pas le mauvais pli. Je lui ai expliqué que si elle travaillait samedi sans que le patron le lui ai expressément demandé, elle ne serait pas payée pour ces heures-là. Elle ne savait pas. (Qu’est-ce qu’on leur apprend à l’école?! Certainement pas à lire une convention collective. Moi non plus on ne m’a pas appris, remarque.)
Parce que mon collègue de 50 ans arrive au bureau vers 8h, parfois plus tôt, et n’en part qu’à 19 ou 20h, parfois plus tard. Sans que cela ne lui soit jamais demandé. Sans que cela ne lui soit jamais payé.
Parce qu’au moment où j’enfile ma veste, on me dit “et tu m’as fait le PDF?”.
Mon patron au moment où je pars.
Parce que j’aurais peur qu’on croit que j’en fais moins que les autres, ou que je suis moins impliquée. Alors que c’est loin d’être le cas, et je sais qu’ils le savent. Mais parfois ils font comme s’ils ne savaient pas.
Parce que dans mon métier, comment savoir quand le travail est fini? On peut toujours en faire plus.
Parce que mes patrons laissent mon collègue de 50 ans travailler encore et encore. Et que ça me fait peur. Parce que c’est se voiler la face sur les besoins de l’entreprise en termes de main d’oeuvre et profiter de la gentillesse des autres, et ce n’est pas très honnête.
J’ai toujours admirer mon ami Guillaume, sur mon ancien lieu de travail, qui partait toujours à l’heure. Les autres ne se gênaient pour le critiquer parfois, comme si c’était mal de respecter son contrat. Je n’aimais pas travailler là bas. A 18h c’était à qui osera le premier se lever de sa chaise pour partir. Personne n’osait, on pouvait attendre longtemps comme ça. Pas Guillaume, lui il était déjà parti. Lui il avait de suite annoncé à son entretien qu’il avait des activités en dehors du boulot et que les charrettes ça devait rester plus qu’exceptionnel. Il le respectait, les patrons le respectaient.
Mais voilà, il y a là dedans quelque chose qui m’interroge quand même. Est-ce qu’on ne peut partir du travail que si l’on a une raison ou une excuse? Est-ce que mes collègues féminines et moi on doit attendre d’avoir des enfants à aller chercher à la crèche pour pouvoir dire “bonne soirée, à demain!” à 17h? Est-ce que c’est pour ça que mon collègue de 50 ans reste si tard? Parce qu’il n’a pas “mieux à faire ailleurs”.
Apparemment ces choses-là ont un nom: le travail ostensible (conspicuous work), la conformité sociétale, etc.
Malgré tout ça, je considère mes conditions de travail meilleures que lorsque je travaillais en agence d’architecture. Je suis mieux payée et mieux considérée. Mais je me rends compte que pour moi, ce n’est pas encore assez.
Malgré tout ça, j’aime beaucoup mes collègues, on se comprend et on se marre bien. Les journées sont longues quand certains sont en déplacement.
Malgré tout ça, j’ai l’impression que mes patrons font de leur mieux. Mais ils ne se remettent pas assez en question, et ils ne s’en rendent pas compte.
Pourtant, je veux plus de temps.
Plus de temps pour lire, pour bricoler, pour penser à autre chose, pour dormir, pour regarder des films, pour prendre l’apéro, pour que mon cerveau puisse faire la transition entre le travail et le reste.
C’est ça, je veux du temps de cerveau, et aussi du temps pour rien, du temps sans raison particulière.
Et je veux plus de liberté. La liberté de respecter mes droits du moment que j’ai rempli mon devoir.
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